LA VÉRITÉ SUR LE PHENOMÈNE "OTAKU"

Si vous êtes un habitué des sites de recherche de correspondants japonais, vous avez peut-être déjà remarqué un détail qui peut surprendre un Occidental. En effet, il est très fréquent de voir dans les petites annonces la note suivante : "personnes aimant les manga ou/et les dessins animés, s’abstenir".

Voilà qui est embêtant… C’est d’autant plus embêtant quand on sait que c’est une des raisons principales qui poussent les jeunes occidentaux à chercher des correspondants nippons.

Mais pourquoi cet ostracisme ? Après tout, nous ne faisons rien de plus que de lire des bandes dessinées comme des millions d’autres personnes le font chaque jour ! (dont une bonne majorité de Japonais)

En France, j’entends souvent dire ici et là, "moi je suis un otaku, j’adore lire des manga et regarder des anime". Oui, mais si apprécier quelques BD et regarder un dessin animé de temps en temps c’est être un otaku, nous sommes presque tous des otaku !

Mais voilà, les Japonais n’ont pas la même vision du manga que nous. Pour eux l’association d’idée est simple : manga = otaku

Je pense que ce mot n’a jamais été réellement définit dans notre pays. Il est bien souvent usité, mais très peu souvent compris. Il suffit de lire la presse qui se fait l’écho des modes actuelles. Récemment encore on pouvait lire un article traitant d’une "génération d’otakus" ; de jeunes ayant perdu leurs repères (!) et qui se rassemblent devant les boutiques spécialisées le samedi après-midi pour acheter des produits importés du Japon.

Aussi, tentons de définir ce qu’est un otaku pour le citoyen français lambda : Otaku - se dit d’une personne qui aime lire des manga japonais, de préférence en version originale, qui regarde des dessins animés japonais, de préférence en version originale sous-titrée, et qui collectionne tout un tas d’objets importés du pays du soleil levant prouvant sa ferveur pour ce pays lointain.

C’est un peu cynique, mais après tout, pourquoi pas ? A bien y regarder, cette définition n’est pas aussi désobligeante qu’elle n’y paraît. Au contraire, je ne vois ce qu’il y a de mal à s’intéresser à une culture autre que la sienne. Cela ne peut qu’enrichir une personne.

Cependant, il faut faire attention à l’emploi de ce mot. En effet, nous allons maintenant voir l’origine du mot et son sens réel. Je pense qu’après cette lecture vous réfléchirez à deux fois avant de vous proclamer otaku.

DÉFINITION

En japonais, le terme otaku possède trois significations premières, qui existaient dans la langue bien avant l’apparition du phénomène otaku tel qu’on le connaît actuellement.

Si l’on regarde à l’entrée otaku dans le Kôjien (Le Grand dictionnaire japonais), on y trouve les quatre définitions suivantes :
"terme de politesse qui désigne le logis d’une personne".
"mot de politesse qui désigne le mari d’une personne".
La troisième signification du mot est un "vouvoiement assez distant que les Japonais utilisent quand ils ont besoin de s’adresser à quelqu’un sans désirer pour autant approfondir la relation ainsi nouée" (très peu usité).

La quatrième et dernière définition, fait référence au phénomène que nous allons traiter dans ce paragraphe. Principalement écrit en katakana dans ce contexte, ce mot désigne des "personnes qui ont des connaissances de base lacunaires mais qui, en contrepartie, s’avèrent être intarissables dans des domaines et des sujets très pointus dans lesquels ils s’investissent complètement. Lorsqu’ils parlent entres-eux, on remarque qu’ils ont tendance à appeler l’autre otaku (vous)".

LA GÉNÈSE

C’est en 1983 que l’essayiste Nakamori Akio, alors âgé de 23 ans, emploie pour la première fois le mot otaku dans un article paru dans la revue pour adultes Buricco. Il utilise ce vocable pour désigner un phénomène nouveau qui touche la jeunesse, faisant allusion à ces jeunes adultes qui restent cloîtrés chez eux toute la journée à regarder des dessins animés ou lire des manga, et dont la passion est de collectionner les choses qui ne sont "plus de leur âge" (poupées, figurines, robots en plastique, images de personnages de dessins animés, etc).

Le mot fait son apparition auprès du grand public en août 1989, à l’occasion d’un fait divers qui marquera profondément son époque.

LE DRAME

Miyazaki Tsutomu, 27 ans, est interpellé suite à l’assassinat de quatre petites filles. Ce jeune homme a pu être retrouvé grâce à une vidéo qu’il a envoyé aux parents d’une de ses victimes quelques semaines auparavant. Sur le film, on le voit découper le cadavre d’une fillette, prendre des photos des vêtements qu’elle portait au moment du rapt, ranger soigneusement les ossements dans une boîte... Quand la police procède à son arrestation, la perquisition à son domicile mettra en évidence une collection de 5000 cassettes vidéos dont la plus grande majorité sont des dessins animés. Aussitôt, les médias s’emparent du phénomène otaku et assimilent ce mot à "assassin pervers". Ces jeunes sont montrés du doigt, incriminés, accusés d’être différents des autres.

Mais est-ce réellement le cas ?
Les otaku sont-ils tous des meurtriers ?

L’ANALYSE

Les otaku sont des enfants qui ont grandi avec la période de forte prospérité économique des années 60 ; période qui engendra non seulement l’essor du consumérisme, mais aussi, une plus forte compétition dans les écoles. Plus sensibles que leurs camarades au stress scolaire, les otaku se sont renfermés sur eux-mêmes, préférant la compagnie des héros de manga et de dessins animés à la réalité.

Les otaku ne sont pas des gens violents. Ce sont des personnes qui déploient avant tout leur énergie et leur génie dans la collection d’objets atypiques et dans la compilation de notes sur leur sujet favori.

Nous avons employé le mot génie, car ce terme s’applique bien à ces jeunes. Avant de devenir otaku, ces enfants étaient des étudiants remarquables, destinés à faire partie de l’élite du pays. Maintenant, ils passent le temps en tentant de déjouer les clés de cryptage des systèmes électroniques, en modifiant des programmes informatiques pour les rendre plus performants, en pastichant leurs séries préférées en dessinant des aventures nouvelles et décalées et, surtout, en rassemblant tout ce qui touche de près ou de loin à leur passion, quitte à y consacrer toute leur énergie.

Si les otaku se sont retirés du système, c'est avant tout parce qu’ils n’ont pas trouvé leur place à l’intérieur de celui-ci. Ce sont des enfants qui, en restant continuellement enfermés chez eux pour étudier depuis leur plus jeune âge, ont perdu leur aptitude à communiquer avec les autres. Petit à petit, ils se sont retrouvés exclus de tout échange social. Aussi, pour se soustraire à leur quotidien et au productivisme ambiant, ils se sont créés un univers propre dans lequel ils se sentent en sécurité, utiles, aimés et compris par les personnages fictifs qui peuplent leur monde.

Les otaku conversent fréquemment entre-eux sur Internet, principal mode de communication de jeunes qui sortent rarement d’un monde virtuel. Quand par hasard il arrive à deux otaku de se croiser lors d’un événement spécial pour la promotion d’un artiste ou d’un nouvel objet, il est bien rare qu’ils s’adressent la parole. Comme ils le disent eux-mêmes : "À quoi bon se parler ? Pour se dire quoi ?" Effectivement, les otaku répugnent à approfondir les relations personnelles et préfèrent rester enfermés chez eux, dans leur chambre, où ils accumulent de quoi satisfaire leur passion.
Pour clore ce paragraphe, nous aimerions mentionner le témoignage d’un otaku que nous avons découvert dans le livre d’Étienne Barral ¹ :

« Les collectionneurs, tous ceux qui, comme moi, vivent par procuration doivent avoir un complexe quelconque. Lorsqu’on a un trou dans le cœur, la collection vient sans doute compenser ce manque. Quand on a la chance de vivre sans souci, on ne devient pas comme moi. »

CONCLUSION

Voilà la raison pour laquelle les Japonais(es) précisent toujours dans leur annonce qu’ils ne souhaitent pas avoir de relations avec des personnes appréciant les manga. Dans l’inconscient nippon, les manga sont à l’otaku ce que les pistolets et autres lances-roquettes sont aux terroristes. L’otaku est un "être différent" qu’il convient d’éviter et de bannir. Posséder des manga chez soi et, de surcroît, en faire la collection, c’est être quelqu’un d'anormal. Cette proscription peut paraître surfaite et démesurée, mais après tout, on ne peut pas leur en tenir rigueur. Ces préjugés ne sont pas rentrés dans leur inconscient par hasard. C’est bien là le travail des mass médias nippons qui ont toujours tendance à faire une hémorragie de la moindre petite éraflure...

Enfin, toujours est-il qu’il vaut mieux taire votre passion pour les manga si vous souhaitez un jour avoir des correspondants japonais. C’est idiot, mais c’est comme ça… et croyez moi, ce n’est pas prêt de changer !(¬_¬)

 

Article écrit par David Gondelaud, du site Mangajima



 

 

 

IMAGES

Cliquez sur l'image pour la voir en taille réelle.

 

 

 

- Le "comiket" de Tôkyô, la plus grande concentration d'otaku au monde -

 

 

 

- Une chambre d'Otaku. Regardez en haut à droite ^o^ -

 

 

 

- Je voudrais bien avoir autant de poupées... -

 

 

 

- Qui n'aime pas se déguiser en son perso préféré? -